Étienne Schneider au sujet de l'avenir de l'économie luxembourgeoise

"Vendre le pays à l'étranger, c'est une priorité"

"Nous devons toujours nous défendre. Quand nous avons une idée, on nous le reproche volontiers dans certains milieux à l'étranger. Mais je suis extrêmement confiant pour l'avenir de l'économie luxembourgeoise. L'avantage du pays, c'est d'être réactif en effet. La place financière ne sera peut-être plus la vache à lait, mais elle va continuer à jouer un rôle prépondérant."

Paperjam: Monsieur Schneider, à quoi ont ressemblé les premières semaines de votre retour dans le costume du ministre de l'Economie, avec des compétences élargies?

Étienne Schneider: Elles ont été très mouvementées! L'intégration de l'ancien ministère des Classes moyennes dans l'économie au sens large prend un certain temps. Mais c'est le volet le plus facile, car, comme il s'agit d'économie, je m'intéressais déjà aux dossiers et les connais assez bien. J'ai décidé de rajouter deux directions générales au ministère de l'Économie. Une DG va s'occuper des Classes moyennes et l'autre du Tourisme. Je vais, dans le même temps, libérer Tom Theves de sa charge à la DG, pour lui permettre d'assumer le rôle de chef de cabinet de tous les ministères qui m'incombent. Le grand ministère de l'Économie, la Défense, la Sécurité intérieure. J'ai besoin d'une personne de confiance qui gère notamment les relations entre directions générales et ministères.

Paperjam: Quels sont les effets escomptés de ce «grand ministère»?

Étienne Schneider: L'avantage, c'est d'être dans une logique de 'one stop shop'. Tout ce qui touche à l'économie, c'est chez moi et chez Mme Closener, en tant que Secrétaire d'État. Jusqu'alors, beaucoup d'entreprises ne savaient pas toujours à quel ministère s'adresser. Le fait de regrouper toutes les procédures (les autorisations en général, le commerce) est important. Et nous allons donc gérer le service de façon à ce qu'il y ait un seul point d'entrée gérant toutes les autorisations. Idem pour le subventionnement. En fait, nous avons plusieurs moyens, des leviers intéressants pour aider les entreprises, selon leur type ou leurs besoins. Je crois que regrouper, cela fait avancer. J'ai l'intention de créer un seul groupe pour tout ce qui concerne ces subsides. Il y a un avantage pour le client. Et nous allons dans le sens de l'efficacité du ministère, qui aune mission de service à rendre.

Paperjam: Le principe de concept unifié vous tient à coeur?

Étienne Schneider: Oui. Prenez un autre aspect. Jusqu'ici, le ministère de l'Économie organisait ses propres événements, foires et salons, à l'étranger et au Luxembourg. Les Classes moyennes aussi. Et le département Tourisme aussi. Une seule direction s’occupera à l'avenir de ces événements et nous aurons un concept unique à proposer. Il y aune remise en question de certaines choses aussi. Sans doute déciderons-nous de ne plus visiter certaines foires, surtout dans le domaine du tourisme. L'objectif est de mieux toucher le public ciblé.

Paperjam: Et que devient le commerce extérieur?

Étienne Schneider: Le nom a disparu, par facilité. La mission reste évidemment. Les missions économiques étaient axées sur les grandes entreprises, les industries et les grands secteurs émergents, ICT, écotechnologies, biotechnologies... Avec un objet plus large, j'ai la possibilité d’organiser des missions économiques beaucoup plus diversifiées. Nous y incluons désormais les PME et un vecteur comme le tourisme, qui représente un volet extrêmement important pour le Luxembourg. Avec une nouvelle approche, nous pouvons vraiment réaliser de la valeur ajoutée et de la croissance dans ce domaine. C'est un des secteurs, à côté de la logistique, qui génère beaucoup de travail pour des personnes moins qualifiées. Or c'est un des problèmes à résoudre au Luxembourg.

Paperjam: Le tourisme fait donc partie de la diversification?

Étienne Schneider: Oui. Et je veux que la politique du tourisme soit plus ciblée. Nous devons savoir qui nous voulons attirer. Les Néerlandais qui, soyons schématiques, ramènent tout dans leur caravane et ne dépensent pas grand-chose surplace? Ou bien une clientèle d'une certaine aisance qui peut vraiment dépenser de l'argent et le fait volontiers? C'est clairement là que nous devons viser. Pour ces cibles privilégiées, il faut avoir les infrastructures nécessaires et un concept national. Je vais donc revoir tout ce qui est plan d'action du tourisme pour arrêter le saupoudrage. Si je devais exagérer, je dirais que chaque hôtel qui change un bidet recevait un subside du ministère. On va établir une stratégie, région par région, pour que le concept touristique puisse marcher. Ceux qui investissent vraiment dans ce domaine auront le soutien de l'État.

Paperjam: Peut-on parler de tourisme de qualité? De business adapté au business?

Étienne Schneider: La qualité est un concept qu'il faut toujours avoir en point de mire Ainsi, il ne faut pas oublier le tourisme de congrès, qui est pour deux tiers dans le total des nuitées. Mettre en avant ce volet-là et le promouvoir à l'étranger, c'est important. Prenons un exemple concret. Le vol direct vers Istanbul a fait en sorte que, en un an, nous avons eu 10.000 nuitées issues de la destination turque au Luxembourg. 10.000 nuitées, ce n'est pas rien. Il est donc intéressant de cibler les choses et de lier les actions. Ainsi, nous sommes en train de négocier la connexion directe avec Moscou. J'imagine que nous pouvons escompter un effet similaire.

Paperjam: Attirer de la valeur reste un objectif. Pour les PME aussi?

Étienne Schneider: Au niveau des Classes moyennes, nous essayons d'être plus réactifs et plus flexibles. Cela implique d'être aussi mieux ciblés. Nous devons être plus sélectifs dans tout ce que nous allons faire pour cibler les entreprises.

Paperjam: On parle donc aussi de vendre le Luxembourg. Et le nation branding?

Étienne Schneider: Nous en faisions déjà avec l'Économie. D'autres en faisaient aussi. Le rapprochement des ministères nous donne plus de moyens, mais je ne vais pas me lancer tout seul dans ce nation branding. Cela va de la commercialisation de la place financière jusqu'au tourisme... Je souhaite évidemment que Luxembourg for Finance et Luxembourg for Business se rapprochent, avec une seule stratégie et une seule façon de vendre. Il faut unifier, là encore. Travailler avec la cellule qui dépend des Affaires étrangères. Nous devons lancer un concept unique. Dans des temps où les moyens sont plus limités, il faut les utiliser de façon intelligente. Vendre le Luxembourg n'est pas seulement vanter des services et un savoir-faire financier, par exemple, ni seulement parler d'une Place intéressante pour l'investissement dans telle ou telle industrie. Il faut vendre le pays tout court. C'est un enjeu en soi. Nous avons pas mal de problèmes pour attirer les personnes hautement qualifiées, notamment dans les éco- et biotechnologies. Pourquoi? Parce que ces gens ne connaissent pas le Luxembourg ou qu'ils le connaissent mal, et qu'ils n'ont pas la motivation pour venir s'installer ici. Il faut leur donner de l'appétit, attiser la curiosité. Montrer ce qui se fait déjà. Et il faut une campagne complète. L'intention est claire. Et elle va se manifester dans les mois à venir. Cela commence par des mises en commun, entre les différentes entités concernées.

Paperjam: Luxembourg for Finance et Luxembourg for Business, par exemple?

Étienne Schneider: II y a notamment un problème de statut, du privé et des fonctionnaires. Le plus important est que les deux entités se donnent une seule stratégie, par exemple cogérée par les deux ministres en charge. Ainsi, nous nous sommes entendus avec mon collègue Pierre Gramegna pour valoriser nos emplois du temps lors de nos visites à l'étranger. En Chine, j'ai parlé avec les dirigeants chinois sur les questions d'investissement en RMB ou de régulation européenne. Quand Pierre sera en déplacement, il pourra visiter telle ou telle entreprise, motiver une société pour venir ici, évoquer les secteurs économiques autres que la Place. Cela peut épargner du temps et des frais, cela nous rendra plus efficaces dans notre travail.

Paperjam: La fusion des chambres, des métiers et de commerce? Une même logique?

Étienne Schneider: Il est facile de demander au gouvernement de faire des efforts pour simplifier. Mais il faut commencer chez soi. Tout se discute, il y a des arguments. Il faut les entendre, mais, d'abord, il faut une volonté de bouger. Les deux ministères ont fusionné et il y a deux personnes de référence. Il faudrait qu'il en soit de même pour les chambres. Là aussi, cela pourrait générer des économies, créer des synergies intelligentes. Évidemment, il faudrait aussi revoir le système de financement, la gouvernance, de cette nouvelle chambre. Il y atout un brouhaha autour de ce dossier. Je suppose que nous pouvons y voir des craintes de certaines personnes, par rapport à leur carrière personnelle. Mais je vais lancer les consultations. La volonté d'avancer, moi, je l'ai.

Paperjam: Tout le monde parle d'une façon de fonctionner à changer. Quelle est l'ampleur du changement?

Étienne Schneider: Prenons l'exemple du projet de loi sur l'archivage électronique. Le ministre de la Justice de l'époque ne voulait pas suivre l'idée d'introduire l'e-archiving dans tous les domaines. Le projet est bloqué parce qu'il n'y avait pas la volonté. Pour ne pas perdre de temps, nous avons décidé que le projet actuel serait amendé sur certains points. Nous pourrons le voter au plus vite, puis compléter l'ensemble sur des points précis, via un second projet. Ce n'est pas neutre parce que cette loi permettra de créer une nouvelle niche. Nous serons les premiers à mettre en place un tel archivage électronique. Cela veut dire des nouvelles professions et de nouveaux avantages capables d'attirer des entreprises internationales. C'est du même ordre pour la simplification administrative et la réforme des procédures. Après seulement six semaines, nous avons mis en place la taskforce, que j'avais toujours promise pour entamer cette réforme. Nous n'allons pas réanalyser toutes les idées qui sont sur la table, mais mettre tout ça en musique. Nous ne parlons plus de loi omnibus, mais plutôt de loi TGV, à la fois pour sa rapidité et la longueur du train.

Paperjam: Le programme du parti se retrouve?

Étienne Schneider: Quand je compare le programme du LSAP et celui du gouvernement à trois, je suis satisfait. Nous allons nous donner un calendrier clair, mais aussi au public, car le programme est sur cinq ans et nous devons jalonner le parcours, donner un signal au citoyen à chaque projet réalisé. Nous allons aussi affiner les accords, en matière de TVA, de réforme fiscale. Lors des négociations de coalition, nous avons ouvert plusieurs pistes, que nous précisons. Pour tout, nous prendrons les décisions le moment venu. Je comprends bien l'attente des gens. Ils s'attendent à ce que tout change d'un coup.

Paperjam: Revenons à l'économie et à sa diversification. Des nouveaux créneaux?

Étienne Schneider: Nous prolongeons ce qui fonctionne déjà. La logistique, les éco- et biotechnologies, l'ICT... cela marche et nous allons continuer à les développer. Le tourisme, on l'a vu, est important et il y a beaucoup à faire. Les niches de souveraineté sont importantes. L'archivage électronique, on en a parlé aussi, est un créneau qui doit se développer dans la logique de donner de l'élan à la quête de quartiers généraux internationaux positionnés à Luxembourg. Et puis, il y a la place financière bien sûr. Les nouvelles possibilités sont nombreuses. La plateforme RMB, la finance islamique... Le port franc a aussi une vocation en soi: il peut donner du travail, un impact à l'activité logistique, de nouvelles ouvertures pour la finance et l'art ou les biens précieux, une plus-value culturelle et touristique autour d'événements et rassemblements en art. Tout est lié. Dù le fait que nous soyons très attentifs à la transversalité entre ressorts ministériels.

Paperjam: La clé, c'est d'être flexible et réactif?

Étienne Schneider: Nous devons toujours nous défendre. Quand nous avons une idée, on nous le reproche volontiers dans certains milieux à l'étranger. Mais je suis extrêmement confiant pour l'avenir de l'économie luxembourgeoise. L'avantage du pays, c'est d'être réactif en effet. La place financière ne sera peut-être plus la vache à lait, mais elle va continuer à jouer un rôle prépondérant.

Paperjam: On va aussi reparler compétitivité et sans doute base de taxation?

Étienne Schneider: Jusque là, il n'y a guère de vrai débat. Mais j'aimerais institutionnaliser ce type de discussions. Pour la rentrée, en octobre, nous voulons lancer un véritable forum. J'espère que nous aurons de vrais débats, et non pas un discours de ministre suivi de réactions parlementaires d’opposition.

Paperjam: Justement, l'opposition... Elle vous surprend?

Étienne Schneider: Celle du CSV m'étonne. On dirait parfois qu'ils n’ont rien à voir avec tout ce qui a été décidé jusqu'ici et rien à faire avec l'ancien gouvernement. Pour le reste, je suis déçu du niveau, notamment de l'ADR. Se baser sur des magazines de caniveau pour attaquer la majorité, c'est vraiment démontrer qu'on n'a pas de sujet. Il y a parfois eu, à défaut d'affaire, de la bêtise pure et dure dans ce qui a été dit.

Paperjam: Pour Mmc Closener, c'est le métier qui entre?

Étienne Schneider: J'imagine qu'elle est doit aussi affronter une forme de jalousie. Mais je la défends. Elle est d'une aide précieuse. Elle connaît bien certains sujets. Je trouve les attaques dont elle fait l'objet tout à fait inacceptables. Jusqu’aux menaces! Tout ça, à la base d'affaires qui n'en sont pas. Difficile de motiver les gens d'entrer en politique avec un tel contexte! Francine a sa légitimité. Elle entrait parfaitement dans le cadre des répartitions entre régions, entre sexes, entre générations. Elle a fait un score électoral très honorable. Elle est jeune et intelligente. Nous pouvons construire avec elle. Globalement, la coalition à trois se passe bien. Elle est bien forgée. Et les attaques nous renforcent. Je peux ajouter qu'il existe une réelle entente dans l'équipe. Voire une amitié: Bettel, Braz et moi, on est amis, On peut se parler, s'écouter. Chacun connaît les limites de l'autre.

Paperjam: Retour au volet économique, qui est primordial... La Chine est-elle un nouveau Qatar?

Étienne Schneider: Je ne dirais pas ça. La Chine est un des partenaires avec lequel travailler. C'est écrit dans la coalition. Ily a déjà une success-story qui s'écrit, avec IEE, les nouveaux acteurs de la place financière, Cargolux... On perçoit l'intérêt pour tout le monde. Tous ces groupes chinois qui souhaitent se développer, en Europe, au départ du Luxembourg est un potentiel énorme. Il y a plein de facettes à cet engouement, comme la coopération entre les universités ou le Grand-Duché qui devient un centre de tennis de table. Les liens sont divers. Et c'est excellent.

Paperjam: Parmi les dossiers en souffrance, quid du Luxembourg Future Fund?

Étienne Schneider: Discussions interminables... On m'a promis que ce serait réalisé au cours du premier semestre. Cela dit, il y a beaucoup d'aspects, techniques et financiers. Je ne veux pas précipiter quoi que ce soit. L'argent est là. Je suis aussi en train de lancer une révision des moyens pour soutenir les entreprises, les aides de la SNCI, les taux revus à la baisse...

Paperjam: Et les bureaux à l'étranger? Et les clusters?

Étienne Schneider: Les Luxembourg Trade International Offices sont des maillons importants et stratégiques. Nous travaillons sur la Turquie. J'ai demandé à l'ancien ambassadeur turc d'oeuvrer en tant que consultant sur place. Nous sommes en train de développer Moscou. À l'inverse, nous devons pouvoir aussi revoir d'autres LTIO, moins productifs. La Corée peut-être. De manière générale, je veux pouvoir en mesurer l'effet. Cela me semble important. Pareil pour les clusters. Je leur ai demandé de se donner des objectifs mesurables.

Paperjam: Puisque vous avez aussi les PME, quid du 4e plan d'action?

Étienne Schneider: Je vais le revoir. Je ne suis pas décidé à le déposer tel quel.

Paperjam: Vos priorités sont différentes?

Étienne Schneider: Globalement, je souhaite réaliser d'abord l'intégration des différents ministères. C'est encours. Sur le moyen terme, nous verrons les premiers résultats pour affiner la façon de travailler. II faudra encore mettre davantage d'efforts sur la promotion de nos atouts. C'est vraiment à l'étranger qu'il faut vendre le Luxembourg. Je sais que les entreprises au Luxembourg attendent beaucoup de présence ici. Mais je vais m'investir encore plus à fond à l'étranger. Je suis donc content que la Secrétaire d'État soit un relais immédiat pour les entreprises présentes. Mais c'est un interlocuteur de même niveau et cela ne change rien au service. Je constate simplement que le résultat des missions économiques est irremplaçable. C'est évident pour la Chine. Mais nous pouvons aussi axer plus de missions à l'intérieur de l'UE. Cela ne se faisait guère. Pourtant, les PME s'intéressent beaucoup à ces possibilités d'échanges dans un espace proche. C'est aussi du concret.

Dernière mise à jour