Interview avec Claude Turmes dans d'Handwierk

"Nous avons besoin de l'artisanat pour assurer la transition écologique."

Interview: d'Handwierk 

d’Handwierk : Face à la crise énergétique que nous connaissons, pouvez-vous nous rappeler quelles sont les mesures prises pour soutenir les entreprises?

Claude Turmes : Nous nous trouvons dans une situation très difficile et notre devoir, dans ce contexte, est d'aider à la fois les ménages et les entreprises. Nous l'avons déjà fait en plafonnant les prix du gaz et de l'électricité: l'augmentation des tarifs du gaz ne dépassera pas les 15 % et les prix de l'électricité resteront en 2023 au même niveau qu'en 2022. En ce qui concerne les entreprises, les ministres Delles et Fayot (ministres des Classes moyennes et de l'Économie, Ndlr.) ont mis en place une série d'aides et veillent à ce qu'elles soient accessibles de façon simple, avec le moins de freins bureaucratiques possible. Le Pacte Climat Entreprises fait notamment partie de ce paquet, en offrant un stimulant fiscal aux entreprises qui accélèrent leur transition et installent les équipements leur permettant de réduire leur consommation d'énergie. Je suis content que l'on ait pu débloquer des moyens budgétaires supplémentaires pour financer ces différentes mesures tout en maintenant la dette sous la barre de 30 % du PIB.

d’Handwierk : Des décisions ont également été prises au niveau européen. Quelles seront leurs conséquences pour l'économie luxembourgeoise?

Claude Turmes :  Mi-octobre, la commissaire européenne Margrethe Vestager a annoncé la création d'un nouveau cadre permettant l'octroi d'aides exceptionnelles dans ce contexte difficile. Nous devons à présent voir avec mes collègues du Gouvernement comment appliquer ces nouvelles possibilités au Luxembourg. Pour financer ces mesures, il a été décidé de taxer les superprofits des entreprises pétrolières et sociétés d'extraction. Cette décision permettra de récolter environ 140 milliards d'euros qui seront réinvestis pour aider les ménages et les entreprises, mais aussi pour financer la transition verte.

Étant donné qu'il n'y a aucun site de forage au Luxembourg, le pays ne profitera pas de cette mesure. Il pourra tout de même récupérer une partie des surprofits générés par les unités de production d'électricité, éolienne et solaire, situées au Luxembourg. Nous sommes aussi en discussions avec l'Allemagne pour récupérer une partie des surprofits générés chez eux, notre marché de l'énergie étant partagé avec celui de notre voisin allemand. Nous devons faire tout notre possible pour lutter contre la hausse des prix de l'énergie, car en y parvenant, nous nous battons aussi contre l'inflation et repoussons du même coup les tranches d'indexation.

Celles-ci constituent une charge importante pour les entreprises, puisqu'elles doivent augmenter les salaires à chaque nouvelle tranche.

d’Handwierk : Comment éviter les pénuries de gaz et d'électricité cet hiver, sachant que nous sommes très dépendants de l'extérieur pour notre approvisionnement?

Claude Turmes :  L’UE s'est fixé comme objectif de réduire de 15 % sa consommation de gaz, et ce précisément pour éviter les risques de pénurie. Avec 37 % de gaz consommé en moins au cours du mois d'août et 26 % de moins en septembre au Luxembourg, on peut dire que l'objectif est - jusqu'ici - atteint.

L’été est toutefois une période où il est beaucoup plus facile de faire des économies à ce niveau. Il faudra donc continuer sur cette voie dans les prochains mois pour éviter une pénurie qui n'est pas seulement liée au conflit en Ukraine, mais qui s'explique aussi par l'arrêt de certains réacteurs nucléaires français pour des raisons de sécurité. C'est tout le sens de la campagne "Zesumme Spueren, Zesummenhalen", lancée par le gouvernement, qui invite tout le monde, de l'État aux citoyens, en passant par les communes et les entreprises, à multiplier les efforts pour limiter notre consommation d'énergie. La bonne nouvelle de toutes ces mesures d'économie, c'est que les dispositifs mis en place - comme l'éclairage LED, les pompes à chaleur de dernière génération, etc. - continueront à produire des effets durant de longues années.

d’Handwierk : Au-delà des économies, il est aussi indispensable d'accélérer la production d'énergie renouvelable dans le pays pour gagner en autonomie. Où en est le Luxembourg à ce niveau?

Claude Turmes : Le sujet est crucial non seulement au Luxembourg, mais également dans toute l'Union européenne. Au Luxembourg, on a investi 15 fois plus dans le photovoltaïque en 2021 qu'au cours des cinq années précédentes.

Nous allons continuer à pousser le développement des énergies renouvelables dans le pays, notamment à travers une réduction de la TVA à 3% pour l'installation de de panneaux photovoltaïques dès janvier 2023, une promotion de l'autoconsommation, ainsi qu'une intensification de nos efforts pour développer l'agro-photovoltaïque. 40 grandes éoliennes seront également installées sur le territoire dans les trois à quatre prochaines années. Par ailleurs, nous sommes en train de mettre au point une réglementation qui permette de subventionner l'acquisition de batteries de stockage. Celles-ci permettront ainsi de stocker l'électricité produite en journée, et qui ne peut pas toujours être utilisée en temps réel. La plupart des particuliers sont au travail quand leur installation photovoltaïque produit de l'énergie.

d’Handwierk : On sait que les panneaux photovoltaïques sont majoritairement produits en Chine. Ne risque-t-on pas, dès lors, de passer d'une dépendance à certains pays pour les énergies fossiles à une dépendance à la Chine pour les énergies renouvelables? Comment éviter une telle situation?

Claude Turmes : J'appelle depuis des années à la mise en place de chaînes de valeur en Europe et dans d'autres parties du monde (Australie, Canada, Amérique du sud...) pour éviter de se retrouver dans une telle situation de dépendance.

L'Europe s'attelle avec beaucoup d'énergie à cette question, notamment en promouvant l'installation d'entreprises spécialisées dans la production de ces installations sur le continent, mais aussi en tissant des accords avec d'autres pays.

d’Handwierk : Le risque de relocaliser cette production dans des pays européens ou offrant des salaires équivalents n'est-il pas de voir les prix monter en flèche?

Claude Turmes : La bonne nouvelle est que la production de panneaux photovoltaïques est aujourd'hui largement robotisée.

On ne constate donc pas de grande différence de coût de production d'une région à une autre, étant donné qu'il y a peu de personnel à rémunérer. Il faut simplement disposer des investissements de départ, pour pouvoir construire les unités de production.

On voit d'ailleurs que les choses commencent à bouger à ce niveau. L'un des plus grands acteurs de la production de panneaux photovoltaïques — le groupe germano-suisse Meyer Burger — a décidé de ne plus exporter sa technologie en Chine. Or c'est précisément grâce à l'expertise de cette société que les Chinois ont pu développer leur industrie photovoltaïque. Désormais, Meyer Burger veut produire en Suisse et en Allemagne, et c'est une très bonne nouvelle.

d’Handwierk : La mobilité électrique est un autre de vos fers de lance. Elle pose toutefois un certain nombre de défis aux entreprises, dont les collaborateurs sont souvent frontaliers et doivent donc recharger leur véhicule à domicile. Comment rendre l'électrification vraiment séduisante à leurs yeux?

Claude Turmes : Tout d'abord, il faut souligner que nous avons déjà beaucoup progressé en matière de mobilité électrique. Notre réseau public de bornes de charges est sur la deuxième place européenne en ce qui concerne le nombre de bornes sur 100 kilomètres. Nous sommes notamment parvenus à faire en sorte que les leasings ne soient réservés qu'à des véhicules électriques d'ici à 2025. De nouveaux appels d'offres ont également été lancés pour accélérer encore davantage le déploiement de bornes pour véhicules à zéro émission.

A ce niveau, une proposition est sur la table pour installer des unités plus près des frontières, mais aussi pour faire en sorte que toute offre de leasing s'accompagne de l'installation d'une borne de recharge à la maison du conducteur, qu'il soit résident luxembourgeois ou frontalier. Le développement d'une carte carburant pour la recharge électrique est aussi en discussion.

d’Handwierk : Quel est, selon vous, le rôle que doit jouer l'Artisanat dans la transition énergétique, au Luxembourg comme ailleurs?

Claude Turmes : Son rôle est fondamental! Nous avons clairement besoin des artisans pour nous permettre de relever les défis qui s'annoncent au cours des 30 prochaines années. Celles-ci seron marquées par de formidables investissements dans les énergies renouvelables et une série d'autres dispositifs. Or, qui va remplacer les anciennes chaudières à mazout par des pompes à chaleur? Qui va remplacer les fenêtres par des modèles plus performants? Qui va installer les bornes de recharge électrique? Ce sont évidemment les artisans. Il est donc indispensable que le monde politique et celui de l'Artisanat intensifient leur collaboration pour saisir ces opportunités.

Un autre volet à prendre en compte est la nécessité de former les artisans à ces nouvelles technologies. Les techniciens qui travaillent aujourd'hui sur les énergies fossiles sont très compétents. Ils doivent maintenant être formés aux nouvelles technologies, pour que leur expertise puisse continuer à servir demain.

d’Handwierk : Quelles seront vos priorités d'ici à la fin de cette période législative?

Claude Turmes : Ma première priorité est de continuer à protéger les citoyens et les entreprises contre la hausse des prix de l'électricité.

Notre mission est de rendre disponibles les aides qui ont été mises au point pour les soutenir de la façon la plus simple qui soit. Un autre axe prioritaire est de réduire de façon globale notre consommation d'énergie. Enfin, nous devons accélérer la transition énergétique dans le pays, pour nous rendre moins dépendants de pays exportateurs d'énergies fossiles, pour lutter contre la hausse des prix et, évidemment, pour moins polluer et préserver notre environnement.

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